Le « Disibodenberg » – Mont Saint-Disibod (prononcez Disibode)
Même si le visiteur n’y trouve plus aujourd’hui que des ruines comme témoins d’un passé spirituel considérable, il sera malgré tout impressionné et fasciné par l’atmosphère solennelle de ces lieux. C’est ici qu’Hildegarde passa la plus grande partie de sa vie.
Le Disibodenberg, situé au confluent de la Nahe et de la Glan fut, dès le 7e siècle, au plus tard, un centre de la vie chrétienne mais était vraisemblablement déjà un lieu saint avant Jésus-Christ.
Le baptistère, érigé sur la colline, marqua le début de l’œuvre missionnaire dans la région de la Nahe. Des missionnaires, venant de régions déjà christianisées, arrivèrent dans ce pays. Parmi eux se trouvait Disibod. Sur le mont qui portera plus tard son nom, il se construisit une cellule qui deviendra même un monastère, selon la tradition à laquelle se réfère également Hildegarde dans sa « Vie (Biographie) » de Disibod.
D’après un document, sa vénération en tant que saint remonte déjà avant le 9e siècle. Au tournant du millénaire, l’archevêque Willigis de Mayence fonda, à côté du baptistère sur le Mont Saint-Disibod, un chapitre de chanoines pour 12 ecclésiastiques qui assureraient l’encadrement et l’assistance spirituels des villages environnants.
En 1108, l’archevêque de Mayence Ruthhard fit venir, au Mont Saint-Disibod, des Bénédictins de l’abbaye Saint-Jacques de Mayence et en cette même année débuta la construction d’un nouveau monastère dont les derniers vestiges laissent encore entrevoir, aujourd’hui, son imposante dimension. La jeune Hildegarde put donc suivre de ses propres yeux les travaux de construction et peut-être même s’en inspirer plus tard pour son monastère du Rupertsberg. Comme le voulait la tradition de l’époque, un couvent de religieuses jouxtait le monastère de moines sur le Mont Saint-Disibod. Comme les excavations, aujourd’hui, ne sont pas encore terminées sur le site, seules des hypothèses peuvent être émises sur l’emplacement exact de ce couvent. C’est là que Jutta de Sponheim se retira du monde, à l’âge de 20 ans, pour y mener une vie de recluse. Elle prit en main l’éducation de la jeune Hildegarde et de deux autres jeunes filles qui lui furent également confiées. La découverte d’une biographie de Jutta, qui sera plus tard béatifiée,
permet de conclure de la spiritualité qui imprégnera Hildegarde dans sa jeunesse. Parallèlement à sa formation religieuse, son instruction doit lui avoir permis d’acquérir une culture riche et variée. Les monastères bénédictins étaient anciennement de véritables bastions de l’Art et de la Science. Avec, plus tard, à ses côtés, le moine Volmar, son conseiller érudit, elle sera très vite introduite dans le monde complexe de la tradition bénédictine. L’ensemble de son œuvre témoigne de cette culture universelle qui se traduit dans sa façon d’aborder la théologie, l’histoire naturelle et la médecine, dans sa représentation du « Cosmos » du monde et de l‘homme, dans la composition de ses chants et à travers son abondante correspondance.
Entre 1112 et 1115, Hildegarde opte définitivement pour la vie monastique et prononce les vœux de l’Ordre Bénédictin. A cette occasion, il est fait mention, dans sa biographie, de l’évêque Otto de Bamberg. Celui-ci remplaçait l’archevêque Adalbert I, maintenu en captivité par l‘empereur. En 1136, Jutta de Sponheim, « Magistra » – « Maîtresse » – du couvent du Disibodenberg, meurt. Et c’est d’un « commun accord » comme il nous l’a été transmis, qu’Hildegarde est choisie pour lui succéder, par l’assemblée conventuelle qui s’est élargie à 12 femmes.
L’année 1141 va représenter un tournant décisif dans la vie de la nouvelle « Magistra » du Disibodenberg. « A l’âge de 42 ans et 7 mois », comme elle le précise exactement, elle va vivre un évènement qu’elle appellera sa « Vision » et qui va l’engager dans une voie totalement nouvelle. Depuis son plus jeune âge, Hildegarde était douée d’une intuition exceptionnelle. Mais à présent, c’est comme si elle avait été saisie par le Feu de l’Esprit divin, comme une miniature de son premier ouvrage « Scivias » essaie de le représenter et, dans cette Lumière, elle voit la « Lumière vivante ». Elle La voit et L’entend non par ses « yeux corporels » ou par ses « oreilles humaines extérieures » mais seulement « intérieurement », « en étant éveilée », les yeux corporels ouverts et en dehors de toute extase. Le genre de vision place Hildegarde au même rang que les Prophètes de l’Ancien Testament qui reçoivent eux aussi cette même mission „Ecris ce que tu vois et entends“.
Ce n’est pas sans réticence qu’elle se conformera à cet ordre et débute, en 1141, au Disibodenberg, la rédaction de son premier ouvrage à caractère théologique et visionnaire, le « Scivias », achevé en 1151. Dans le doute qui l’assaille à plusieurs reprises pendant son travail, elle consultera l’abbé Bernard de Clairvaux qui, perplexe au départ, finira par plaider et s’engager en sa faveur lors du synode de Trêves 1147/48, en présence du pape Eugène III : il soutiendra les écrits des Visions avec une telle ferveur et conviction que les textes, après avoir été examinés, seront lus par le pape en personne devant l’assemblée de cardinaux.
Il reconnaît ainsi la « visionnaire » à qui devait être conféré plus tard le titre de « Prophetissa teutonica » et l’encourage à poursuivre son œuvre. Le monastère des moines du Disibodenberg profita sans doute un peu de la « splendeur » de cette reconnaissance papale.
Mais la séparation du couvent de religieuses et du monastère des moines était, alors, déjà amorcée. En 1147, malgré toutes les difficultés, Hildegarde, ensemble avec ses sœurs, prend la décision – preuve, une nouvelle fois, de son autonomie intérieure – de quitter le mont Saint-Disibod. Parmi les raisons qui ont pu motiver Hildegarde, la plus évidente est sans doute l’espace devenu trop étroit pour la communauté, composée alors de 18 religieuses. Dans une vision, est indiqué à Hildegarde, l’endroit où construire son nouveau monastère : au confluent du Rhin et de la Nahe où Saint Rupert avait vécu autrefois en ermite. Parmi les bienfaiteurs qui permirent la construction du monastère du Rupertsberg, le comte Palatin Hermann de Stahleck est cité en premier lieu dans le régistre des biens du Rupertsberg. Le transfert et l’installation des religieuses se déroulent entre 1147 et 1151 : Un document témoigne de la consécration de l’église et du monastère, sur le mont Saint-Rupert, en 1152. Au départ d’Hildegarde, les premiers signes de déclin se font déjà ressentir dans la communauté des moines Bénédictins du Disibodenberg.
C’est ainsi qu’au 13ème siècle, l’archevêque de Mayence remet le monastère avec l’ensemble de ses biens aux Cisterciens qui y demeureront près de trois siècles environ. En 1559, malgré plusieurs tentatives de relance, la dissolution est inéluctable et irréversible. Dès le milieu du 18ème siècle, les bâtiments vont être démolis peu à peu et l’endroit servira de carrière jusqu’à ce que le site soit repris par un particulier en 1804. La dernière propriétaire, Ehrengard, Baronne de Racknitz, née Comtesse de Hohenthal, cédera le site de l’ancien monastère à une fondation, le 21 mai 1989. La « Fondation Scivias » du Disibodenberg veille à la poursuite des programmes de recherches et à la sauvegarde et consolidation des vestiges, témoins d’une tradition culturelle chrétienne plus que millénaire.
Sœur Teresa Tromberend OSB